Conclusion des négociations sur le Mako

Conclusion des négociations 2020 pour le Mako 

Après de nombreuses délibérations, aucun consensus n’a été trouvé sur la proposition d’interdiction totale de pêche de Mako, seule solution proposée par le comité de la commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (ICCAT). Le Canada, ainsi que l’appui de la Grande-Bretagne, le Sénégal, Taiwan et le Gabon, soutenaient une politique de non-rétention de requin Mako.

Pour l’Union Européenne et les Etats-Unis, la proposition de l’ICCAT n’a pas semblé pertinente, puisque sans rétention il y aurait moins de visibilité sur la situation démographique des requins Mako. L’UE et les Etats-Unis avancent ainsi que jetés en mer et donc non comptabilisés, il n’y aurait pas de baisse de la mortalité. L’UE indique qu’il est donc nécessaire de mettre en place un ensemble de mesures de gestion et d’adopter un plan à long terme pour s’assurer de la reconstitution du stock. L’UE propose d’adopter des mesures de reconstitution provisoires, qui comprendraient la fin des exemptions (Paragraphe 3 et 4 de la Reco 19-06) et l’introduction d’un total admissible de captures (TAC) pour mettre fin à la surpêche, tout en programmant des travaux d’intersessions pour continuer à améliorer le cadre de gestion du requin Mako.

En absence d’un accord, l’ICCAT repousse toutes décisions en été 2021. D’après les estimations du comité scientifique de l’ICCAT, si la pêche cesse définitivement, il faudrait 50 ans pour que l’espèce se reconstitue totalement.

Pour rappel : En 2019 les bateaux ayant récupéré des requins mako dans l’océan Atlantique venaient principalement d’Espagne, du Portugal et du Maroc.
La même année, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) avait poussé plusieurs gouvernements à voter une réglementation visant à protéger certaines espèces menacées, dont le requin mako. Sans parvenir à un consensus entre les pays, la proposition n’avait pas mené à une interdiction de la pêche pour ces espèces, pourtant demandée par le Canada, Sénégal et récemment rejoint par la Grande-Bretagne.

Du requin dans nos crèmes de beauté ?

Du requin dans nos crèmes de beauté ? Où en est-on en 2019 ?

En 2015, l’ONG Bloom publiait un rapport pointant du doigt l’utilisation de squalane dans les crèmes de beauté, et alertait des dérives que cette pratique pouvait engendrer. Face à l’état critique des populations de requins et de raies et des pressions anthropiques qu’ils subissent déjà, ajouter une telle exploitation pour des fins cosmétiques est alarmant et représente une réelle menace. Il est estimé que près de trois millions de requins de fond sont tués chaque année afin d’approvisionner la demande en huile de requin1. Face aux revendications des associations et ONG, beaucoup de compagnies avancent avoir changé leurs pratiques et remplacé le squalane par des substituts végétaux. Qu’en est-il réellement aujourd’hui ?

Le squalane ?

A l’origine, le squalane est issu de l’huile de foie de requin, le squalene. C’est un lipide hydrocarboné retrouvé naturellement dans certaines plantes comme les oléagineux et chez certains animaux, notamment les requins, dont le foie en est très riche. On trouve alors du squalene aussi bien dans l’huile d’olive, le sucre de canne que chez des requins de fond comme le squale-chagrin de l’Atlantique (Centrophorus granulosus) ou le pailona commun (Centroscymnus coelolepis). Il est particulièrement recherché par les groupes cosmétiques comme constituant grâce à ses propriétés hydratante, anti-inflammatoire et anti-vieillissante.  On le retrouve aussi  utilisé en association avec les antigènes de la grippe saisonnière dans de nombreux vaccins.   Par ailleurs ses caractéristiques hydrophile et thermorésistante font de lui un ingrédient très apprécié pour les produits de beauté. Il est ainsi retrouvé dans des crèmes, des lotions, des sticks,  et se retrouve sur les étiquettes sous plusieurs noms : squalene ou squalane, mais parfois aussi sous les noms spinacène, suprène, perhydrosqualène, dodécahydrosqualène.  Cette démultiplication d’appellations ne facilite pas son identification auprès des consommateurs.

Que sait-on ?

Pendant longtemps, l’utilisation du squalane dans les produits de beauté est restée inconnue du grand public. Peu de consommateurs étaient sensibilisés à la composition des produits achetés et encore moins l’étaient à l’empreinte environnementale des cosmétiques. Ainsi l’absence de sensibilisation a pendant longtemps empêché la mise en connaissance de la présence de squalane dans les produits de beauté.

L’organisation Bloom est une des premières à avoir mis en lumière le marché peu durable de l’utilisation de dérivés de squalene de requins. Une première étude menée en 2012 par Bloom a montré que la demande mondiale d’huile de foie de requin est estimée à 2 000-2 200 tonnes (2012). Environ 90 % de ce total est destiné à la production de squalane pour le secteur cosmétique. Par ailleurs il est mentionné souvent la triste pratique du « livering », semblable au « finning » sauf qu’il s’agit là de garder le foie du requin et de rejeter le reste de la carcasse en mer. La pratique du livering semble avoir précédé la pratique du finning sur les côtes africaines : c’est le commerce de l’huile du requin qui provoquait alors leur pêche, les ailerons étaient abandonnés sur les plages jusqu’à ce que le marché des ailerons se démocratise. En 2015, une seconde étude a visé à mieux comprendre l’utilisation de squalane dans le marché des cosmétiques. Sur 72 crèmes testées, près de 1 sur 5 contenait du squalane de requin et dans près de 80% de ces cas, il y avait également du squalane végétal, preuve qu’il peut être utilisé en tant que substitut. Les marques testées IOMA, Topicrem, Méthode Swiss provenaient d’Europe, Bliss des Etats-Unis, et plus de la moitié des marques asiatiques (BRTC, Cyber Colors, Just Beyond Organature, Missha, Dr. Ci: Labo, Haba and Menard). Bien que le squalene puisse être extrait depuis plusieurs plantes, le dérivé issu des requins reste souvent moins cher qu’un possible substitut végétal, jusqu’à 30% en 2012.

 

Et en France, et en Europe ?

Le commerce du squalane de requin est aussi une affaire européenne et française. En effet, la pêche française fournit une part des requins qui serviront à approvisionner les compagnies cosmétiques. Par ailleurs les sociétés d’export et d’import européennes occupent des places importantes sur le marché en fournissant des acheteurs, qui transforment et fournissent ensuite les marques dans le monde entier.
En 2014 Shark Citizen3 a mené une enquête et recensé de nombreuses marques utilisant du squalane de requin dans leurs produits vendus sur le marché français. Sophim est le fabricant et revendeur de squalene, animal et végétal,  le plus important d’Europe. Si la compagnie affirme que le squalene de requin est désormais majoritairement remplacé par un substitut végétal, les requins, issus de pêches en eau profonde de l’Atlantique Nord, restent encore très  concernés. Sophim est probablement, selon l’étude de Shark Citizen, à l’origine du squalene présent dans une majorité des cosmétiques en France. La société espagnole Squalop Oil est également une des principales productrices et exportatrices du marché de l’huile de requin.  Les informations étant très parcellaires sur ce secteur, il est difficile de déterminer avec précision quelles autres sociétés européennes sont également impliquées dans ce commerce international.


Vers un chemin de changement ?

Mais les temps changent, et aujourd’hui, de nombreuses associations et organisations se mobilisent afin de bousculer de telles pratiques, en  rupture totale avec la conjoncture actuelle. De nombreuses compagnies ont supprimé le squalane de requin de leur chaîne d’approvisionnement. Pour en citer certaines, Unilever, L’Oréal, et Lush se sont engagées à bannir l’huile de requin de leurs produits de beauté. La majorité du marché européen semble donc avoir basculé vers le squalane végétal. La situation du marché asiatique reste elle, encore floue.  L’étude de Bloom de 2015 a pu montrer que des groupes cosmétiques ont été surpris d’apprendre que les fournisseurs  pouvaient falsifier du squalane végétal par du squalane de requin sans en avertir ces mêmes groupes. Bien souvent la difficulté est d’identifier la traçabilité du squalane et d’assurer par ailleurs au consommateur qu’il s’agit bien d’une crème sans squalane de requin.
Par ailleurs, l’association Shark Citizen a engagé cette démarche depuis 3 ans. Au total plus de 250 marques et distributeurs ont été contactés mais souvent, l’absence de réponse traduit malheureusement l’opacité de ce marché. Si le finning est pointé du doigt, l’industrie d’huile et de foie de requin, elle, n’est pas inquiétée : il n’existe à ce jour aucune réglementation vis-à-vis du commerce de l’huile de requin, mais également aucun code douanier correspondant au squalene de requin ou huile de requin dans le monde.

Comment s’y retrouver ?

Aucun véritable label n’a émergé afin d’apporter de la transparence aux consommateurs. Beaucoup d’entreprises emploient une communication douteuse, et la confusion règne lorsque l’on voit une crème dont le squalane est labélisé « ingrédient naturel ». De quoi dissimuler l’origine exacte du squalane. D’autres marques jouent auprès de leur engagement au respect de l’environnement tout en utilisant encore du squalane de requin. Il y a donc une grande prudence à avoir vis-à-vis de l’interprétation des « labels » qui nous entourent. La meilleure des réactions est alors de se renseigner, de demander directement aux compagnies cosmétiques, qui comprendront également dans un second temps que les consommateurs veulent plus de transparence sur l’origine du squalane.

Et le monde dans tout ça ?

Dernièrement le Canada, un des plus gros importateurs, a fait les premiers pas en interdisant le commerce d’ailerons de requins,  l’importation d’huile de requin elle, reste cependant toujours autorisée. Son interdiction future constituerait la prochaine étape décisive dans l’engagement d’un pays derrière les enjeux de préservation des requins et raies.

 Comment agir à son échelle : https://www.youtube.com/watch?v=zhZgiu5f30I&t=9s

Sources :

R. Chabrol, 2012. Le prix hideux de la beauté : une enquête sur le marché de l’huile de foie de requins profonds. BLOOM    Association, Paris, France. 35 p.

²  L. Ducos, 2015. La belle et la bête, du requin dans nos crèmes de beauté ! BLOOM Association, Paris, France. 33p.

SharkCitizen, 2014. Requins, enquête sur le marché français : les produits cosmétiques et pharmaceutiques.54p 

Loney, 2019. FYI, Your Fave Face Cream Might Contain Sharks. Flare – www.flare.com

Interview : Alessandro de Maddalena nous parle de l’érosion des populations de grands requins blancs en Afrique du Sud !

Alessandro de Maddalena est un expert reconnu en matière de requins et collabore régulièrement avec Ailerons, notamment par le biais de ses illustrations. Actuellement domicilié à Simon’s Town, non loin de la ville du Cap en Afrique du Sud, il organise des expéditions majoritairement consacrées à l’observation des requins blancs, mais aussi à des espèces telles que le requin mako ou le peau bleue. Nous avons pu échanger avec lui au sujet de l’inquiétante disparition des requins blancs en Afrique du Sud. Étant en première ligne, Alessandro nous a livré une analyse sans détours au sujet de la réalité des faits sur le terrain et des causes de cet effondrement du nombre de grands blancs observés ces dernières années.

 

Nous entendons dire depuis plusieurs années et de manière récurrente que le nombre d’observations de Grands Requins Blancs aurait fortement diminué dans False Bay (Baie située au Sud de la ville du Cap, connue pour ses fameux « requins sauteurs », ndlr). Cette tendance à la diminution semble également s’observer sur d’autres sites tels que Gansbaai. Étant donné que tu travailles sur le sujet et organise des expéditions sur place depuis des années, est-ce que tu peux nous décrire ce que tu expérimentes à ton niveau ?

La diminution est réelle et dramatique. Au cours de périodes de l’année pendant lesquelles nous voyions entre deux et huit grands requins blancs par jour, nous en voyons maintenant entre zéro et deux. La haute saison des grands requins blancs à Seal Island, qui durait six mois par an, dure désormais entre deux et trois mois. Le phénomène ne concerne pas seulement False Bay, mais les trois sites d’Afrique du Sud: la diminution de cette année a été observé à la fois à False Bay, à Gansbaai et à Mossel Bay.

Plusieurs théories, allant des lignes de pêches à la palangre qui capturent les petites espèces de requins sur lesquelles les requins blancs se nourrissent à la présence d’orques, en passant par l’impact des activités touristiques d’observation sont avancées pour expliquer le phénomène. Quel est ton point de vue sur la question ?

Je n’ai jamais entendu des gens qui ont un minimum de connaissances sur le sujet affirmer que les activités touristiques d’observation des grands requins blancs peuvent impacter la présence de ces animaux sur un site. Il s’agit évidemment d’une hypothèse sans aucun sens. Pour ce qui concerne l’importance qui a été donnée à la prédation des orques sur les grands requins blancs, ça a été beaucoup exagéré. Dans le reste du monde nous avons seulement trois cas confirmés d’orques qui ont tué et mangé des grands requins blancs. Il ne s’agit pas d’une proie habituelle pour ces cétacés. En Afrique du Sud, les orques se nourrissent normalement surtout de dauphins. Il semble s’agir de deux individus seulement, qui ont récemment commencé à tuer et manger des grands requins blancs. Évidemment, deux orques ne vont pas exterminer la population sud-africaine de grands blancs ! Bien sûr, elles peuvent faire s’éloigner les requins d’un site pour plusieurs jours ou semaines et cela peut créer quelques problèmes pour les activités d’observation de ces animaux. Mais l’unique espèce capable d’exterminer les grands blancs reste l’être humain. Et c’est seulement ça le véritable problème. Pas les orques… les humains.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Grand requin blanc, Gansbaai, mars 2013. Photo : Florian Legrand.

La pêche à la palangre peut-elle être une explication seule ?

Bien sûr, la pêche à la palangre peut expliquer la diminution dramatique des requins, et pas seulement du fait des captures de petits requins mais aussi des requins de grand taille. Depuis trois ans, pendant nos expéditions en Afrique du Sud, nous avons observé une diminution dramatique des requins mako, peau bleue, taureau, cuivre, marteau. Ce n’est pas seulement un problème qui concerne le grand blanc. Toutes les espèces de requins sont en train de diminuer, surtout celles de grande et moyenne taille. Sans aucun doute, la pêche à la palangre mais aussi au chalutier tuent un nombre inconnu de grands requins blancs, pas seulement leur proies.

La pêche semble être un sujet sensible, à la fois à cause de pressions politiques, de la corruption mais également d’un système de gestion qui imposerait des limites en matière de nombre de bateaux présents (Total Allowable Effort) mais pas de nombre de prises (Total Allowable Catch). Cela résulte donc en une absence de limites pour le nombre de requins pouvant être pêchés et de suivi des populations ?

Le problème est que maintenant les limites en matière de nombre de bateaux ou de prises ne peuvent plus être considérées comme suffisantes. Il est trop tard pour ça. L’unique chose qui pourrait changer la donne serait l’interdiction totale de la pêche à la palangre et au chalutier.

Sommes-nous face à une question aux dimensions très larges étant donné que la plupart des requins pêchés sont exportés en Australie sous le label « flake » (émissole), indépendamment de leur espèce ? Cet export pourrait directement avoir un impact sur la chaîne alimentaire ?

Il manque un contrôle adéquat pour comprendre la véritable dimension du problème. Mais au niveau de la situation courante, nous pouvons déjà affirmer que la chaîne alimentaire est sans aucun doute sérieusement compromise. Les eaux sud-africaines, si riches il y a seulement une dizaine d’années, sont en train de se transformer en un triste désert comme c’est arrivé en mer Méditerranée et dans plusieurs autres régions où les populations de requins se sont réduites à une fraction minuscule de ce qu’elles étaient il y a 50 ans.

La notion de « changement environnemental » (shift in the environment) a été évoquée dans plusieurs articles pour parler de la situation. Est-ce selon toi possible qu’un changement territorial/d’équilibre important puisse être en train de se dérouler au niveau de False Bay et des alentours ?

Bien sûr que c’est possible. Mais la raison est claire. Nous sommes en train de détruire les populations de la plupart des espèces de poissons, incluant presque tous les requins. Nous ne sommes pas en train de parler d’un problème sud-africain, la disparition des requins est un phénomène global.

Quelles sont les premières actions qui devraient être menées pour disposer de données fiables sur le sujet et/ou commencer à rattraper cet exode ?

La pêche à la palangre et au chalutier doivent être interdites. Mais la diminution des populations de requins est seulement l’un des aspects innombrables que nous sommes en train d’observer. Les ressources de notre planète ne sont pas infinies et nous sommes en train de les épuiser. Dans la culture humaine il y a l’idée du contrôle de la taille des populations d’animaux, mais pour cela il existe la sélection naturelle, créée bien avant l’arrivée de notre espèce. Il faut plutôt introduire l’idée du contrôle de la taille de la population humaine. Et très vite. Il faut arrêter de considérer le contrôle des naissances comme un tabou, ça doit nécessairement devenir la règle partout. Nous n’avons pas la possibilité de choisir. Et dans tout les cas, quel est le but d’une croissance infinie de la taille de notre espèce, qui conduit seulement à une détérioration de la qualité de vie pour tout le monde ?

As-tu des théories quant au devenir des requins blancs si cette tendance à s’éloigner des côtes sud-africaines se maintient ?

Les requins ne sont pas en train de s’éloigner des côtes sud-africaines. Ils sont en train de disparaître. Bientôt, nous aurons un océan vide.

Grand requin blanc attaquant un appât lors d’une sortie d’observation, Gansbaai, mars 2013. Photo : Florian Legrand.